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Poésie et Résistance(s) en classe de 3ème

Qu’est ce que RESISTER quand on a 15 ans ?

Après la récréation, les élèves de 3ème s’installent au CDI. Un âge entre deux eaux au Collège, où intéresser les élèves n’a rien d’évident car leur motivation n’est pas encore canalisée. Cette classe, avec une autre classe de 3ème , prépare un voyage sur le thème de la Résistance , qui va les emmener parmi d’autres étapes au camps du STRUTHOF en Alsace et dans le maquis du Vercors. Ils ont d’ailleurs ouvert à blog qui détaille leurs recherches et leur préparation du voyage.

http://blog.crdp-versailles.fr/voyagedeporationresistance/index.php/

Après une rapide présentation, je décide de démarrer, un peu par surprise, afin de capter l’attention de tous, par une lecture à voix forte et saccadée du poème « Je trahirai demain, pas aujourd’hui » de Marianne Cohn. (1922-1944). J’ai du mal à cacher mon émotion, liée bien entendu au poème mais aussi à l’exercice devant la classe dont les élèves ne sont plus des enfants mais des graines d’adultes. A la fin de la lecture, je les sens avec moi, sur le même chemin, prêts à poursuivre.

Les poèmes de la Résistance

Nous ouvrons le débat aussitôt sur la poésie, parole de résistance. Sur ce que permet la métaphore et le langage poétique dans tous les lieux du monde où les guerres, les dictateurs, contraignent la liberté. Cette langue de feu, qui peut tout dire sans nommer les choses, a permis et permet encore d’échapper à la censure et de crier la liberté, la lutte, la survie, le témoignage.

Puis une élève va lire devant tous le poème ‘France’ de Jean-Pierre Rosnay. Quinze ans et demi lors de son engagement dans la résistance. Juste un an de plus que les élèves ! Difficile pour eux de réaliser.

Résister aujourd’hui – une forme de vigilance !

Alors je leur demande aujourd’hui, près d’eux, dans notre monde, ici et maintenant, quels sont les motifs d’indignation qui pourraient les motiver à s’engager, à résister, à se battre pour un avenir meilleur. On parle des guerres, mais c’est un peu loin, on parle de l’écologie, de la planète malade, et aussi des sans domicile fixe, des gens qui vivent dans la rue. C’est plus proche et plus réel.

Oeuvre originale de Danièle Brussot

Tout de suite une réponse « Mais monsieur, on en peut rien changer… » Alors aussitôt je m’insurge gentiment. Je leur dis que le monde bouge quoiqu’il arrive, pour du meilleur ou pour du pire, mais qu’il bouge, qu’il est en perpétuelle évolution, et que le pire n’est jamais inéluctable !  Avec le renfort de l’enseignante, nous les invitons à réfléchir que ce qu’ils veulent se construire comme avenir. J’insiste sur le fait que dans la nature humaine, le meilleur et le pire se côtoient aussi, et que basculer dans la barbarie est toujours quelque chose de possible, qu’il faut rester vigilant ! La poésie, parce qu’elle pénètre au cœur de toutes les failles humaines, et même si elle ne guérit pas directement, est un chemin où ils pourront toujours rencontrer un message d’humanité.

Pour rester dans le monde actuel, j’ai choisi de leur distribuer à chacun le billet-poème d’un court texte inédit de Max ALHAU « Au détour d’un sentier, / la lumière nous fauche soudain / abolissant en nous la peur / d’une nuit à venir. ».

Poème inédit de Max Alhau accompagné d'une oeuvre  originale de Danièle Brussot

La responsable du CDI a une très bonne idée. Le texte étant court, et la lecture à voix haute étant intéressante pour s’approprier le poème, elle suggère que nous fassions une chaîne de lecture…Un élève se lève, lit le poème, se rassied, et un autre élève se lève pour proposer SA lecture du poème. Nous ferons 8 lectures successives. Les élèves sont impliqués. La chaîne a fonctionné.

Nous ferons enfin une autre lecture, celle d’un poème d’Armand MONJO « A Quel Prix ? », qui se termine par :

« Dis, qu’as-tu fait de tes dix doigts / pour abaisser le prix du sang / le prix d’avoir raison / le prix d’avoir la paix. »

Une heure dense, des élèves de 3ème que j’ai senti avec moi pendant l’heure. Je repars très heureux d’avoir essayé de transmettre un message à travers la poésie. Peut-être une graine plantée dans le cœur de chacun…

Texte intégral du poème d’Armand Monjo.

Armand MONJO, (1913-1998)

A QUEL PRIX ?

Frère à quel prix la paix

à quel prix le bonheur ?

Combien de morts déjà

pour payer ta survie ?

Saigne

le coeur de la raison

Le barbare a la peau épaisse

Saigne

le tendre chair d’un peuple

pour l’avenir de ta raison

Brûle

un fleuve de sang

Le barbare n’est fort

que d’acier et de poudre

La chair du peuple

est lampe de justice

pour la petite chaleur de ton sang.

Trente millions de racines

dans sa terre dans sa patrie

Non l’étranger n’est pas de force

pour les couper

car cet arbre est chez lui

Brûle

le sang d’un peuple

saigne

le coeur de la raison

Si loin ? Si près regade

à hauteur de radio

à portée de ton coeur

Dis qu’as-tu fait de tes dix doigts

pour abaisser le prix du sang

le prix d’avoir raison

le prix d’avoir la paix ?

Commentaires (2) Trackbacks (0)
  1. Lefebvre Agnès (madame CDI)
    15 h 52 min on 9 février 2010

    Bonjour, je suis la documentalsite du collège dont vous parlez. merci encore pour cette chouette séance. Nous avons parlé d’Haïti avec les élèves et des mots très durs employés par les médias pour évoquer « ce traumatisme ». Je tombe aujourd’hui sur un article de l’Humanité qui vient faire écho à nos propos.
    Une historienne haïtienne Suzy Castordonne pour titre à son article daté du mardi 9 février « Le peuple haïtien a droit au rêve et au rire ».
    Elle affirme haut et fort que « l’évolution des évènements dépend de nous. Il faut que les haïtiens décident … sinon d’autres le feront ».
    Et oui car vous disiez si bien que c’est aux jeunes de prendre leur avenir en main et qu’ils peuvent résister s’ils le veulent. Merci encore et bonne suite à vous.

  2. nicolas
    19 h 50 min on 9 février 2010

    A propos d’Haïti et la très belle soirée de poésie-solidarité à la maison de la Poésie Paris, les poètes et écrivains présents, d’origine des Caraïbes ou très liés à cette terre, sont tous allés dans ce sens de l’importance pour les haïtiens de prendre leur destin en mains.
    Notamment ils ont insisté sur le fait que ce territoire est soumis aux lois extrêmes de la nature, avec tous les ans des cyclones, avec des volcans en activité, et la terre qui s’ouvre et tremble régulièrement. Et avant toute chose, et surtout avant la pitié de nos pays, Haïti a besoin d’être une terre où l’on vit, où l’on crée; elle est un lieu du monde où l’on a même un sens aigu de la condition d’homme !
    Merci de votre accueil dans ce très beau CDI.

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